Direction de la séance |
Proposition de loi Responsabilité de l'État et indemnisation des victimes du chlordécone (1ère lecture) (n° 27 , 506 ) |
N° 11 8 avril 2025 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Le Gouvernement ARTICLE 2 |
Rédiger ainsi cet article :
I – Toute personne souffrant d’une maladie, que celle-ci soit ou non d’origine professionnelle, reconnue par la communauté scientifique comme résultant d’une exposition à la chlordécone et inscrite sur une liste fixée par décret, peut obtenir la réparation de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi, sans préjudice de l’application des dispositions des articles L. 491-1 à L. 491-7 du code de la sécurité sociale.
II – La demande de réparation doit être présentée dans un délai de six ans suivant la promulgation de la présente loi pour les personnes souffrant d’une maladie résultant d’une exposition à la chlordécone lorsque cette maladie est consolidée avant la promulgation de la présente loi.
La demande de réparation doit être présentée dans un délai de six ans suivant la date de consolidation de la maladie lorsque cette date est postérieure à la promulgation de la présente loi.
III – Le demandeur justifie que la personne visée au I du présent article a séjourné en Martinique ou en Guadeloupe, qu’elle est atteinte de l’une des maladies figurant sur la liste fixée par décret en Conseil d’État mentionnée au I et que cette maladie est imputable à une exposition effective à la chlordécone.
IV – Lorsque la demande est présentée par un enfant exposé pendant la période prénatale ou par son représentant légal, le demandeur justifie que l’intégralité de la grossesse s’est déroulée sur le territoire de Guadeloupe ou de Martinique, à partir du 1er janvier 1972, et que les parents ont vécu au moins cinq ans en Guadeloupe ou en Martinique entre le 1er janvier 1972 et le 1er janvier 1992. Il justifie également que l’enfant est atteint de l’une des maladies figurant sur la liste fixée par décret en Conseil d’État et que cette pathologie est imputable à une exposition effective au chlordécone.
V – Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée en son nom par ses ayants droit. Si elle est décédée avant la promulgation de la présente loi, la demande doit être présentée par l’ayant droit avant le 31 décembre de la sixième année qui suit la promulgation de la présente loi. Si la personne décède après la promulgation de la même loi, la demande doit être présentée par l’ayant droit au plus tard le 31 décembre de la sixième année qui suit le décès.
VI – Le demandeur justifie qu’il a résidé ou séjourné dans les zones et durant les périodes concernées et que sa demande de réparation relève de l’une des situations définies aux I à V du présent article.
Objet
Cet amendement vise à préciser le champ d’application de la loi et à mieux encadrer les conditions d’indemnisation des victimes de la chlordécone.
Le I prévoit, comme la PPL, une réparation des préjudices subis par les victimes exposées par voie non professionnelle et professionnelle.
Il mentionne plus clairement que seules peuvent bénéficier d’une indemnisation les personnes souffrant d’une maladie inscrite sur une liste fixée par décret et que l’inscription sur cette liste est conditionnée à la reconnaissance, par la communauté scientifique, d’un lien entre cette maladie et l’exposition au chlordécone.
Les mots « sans préjudice de l’application des dispositions des articles L. 491-1 à L. 491-7 du code de la sécurité sociale » visent à garantir la bonne articulation entre la réparation forfaitaire, accordée par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) aux personnes exposées par voie professionnelle, et le nouveau dispositif créé (notamment afin d’exclure toute possibilité de double indemnisation).
Le II fait partir le délai de six années retenu par la PPL pour présenter une demande d’indemnisation à compter de la date de « consolidation de la maladie », ce qui est plus protecteur pour les victimes, en lieu et place du « déclenchement » de cette maladie.
Le III précise les conditions à réunir pour pouvoir obtenir une indemnisation par le futur dispositif.
La personne se présentant comme victime d’une exposition au chlordécone doit ainsi :
- justifier avoir séjourné en Martinique ou en Guadeloupe ;
- être atteinte de l’une des maladies figurant sur la liste arrêtée par décret (il en va ainsi du cancer de la prostate) ;
- établir que cette maladie est imputable à une exposition effective au chlordécone.
En effet, il ne saurait suffire d’avoir séjourné dans les territoires concernés, de se prévaloir de données générales sur la pollution par cet insecticide et de souffrir d’une maladie inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d’Etat pour établir qu’il existe un lien de causalité direct et certain entre cette pathologie et l’exposition au chlordécone, compte tenu des causes multifactorielles de pathologies telles que le cancer.
Le IV reprend les conditions d’indemnisation des enfants exposés in utero, proposées dans la PPL, à savoir une grossesse qui s’est intégralement déroulée sur les territoires concernés, à partir du 1er janvier 1972, date de la première autorisation provisoire de vente du chlordécone, et jusqu’au 1er janvier 1992, tout en les alignant sur celles dont doivent justifier les autres demandeurs et qui sont exposées à l’alinéa précédent.
Le V reprend en la précisant la possibilité ouverte par la PPL aux ayants droits de la victime décédée de demander l’indemnisation des préjudices subis par celle-ci au titre de leur action successorale.
Le VI reprend la formulation proposée dans la PPL, en supprimant seulement les mots « en cas de besoin avec le concours des administrations concernées ». En effet, un tel concours n’apparaît pas utile s’agissant des personnes exposées au chlordécone dès lors qu’elles peuvent facilement prouver avoir séjourné dans les territoires concernés, la durée de leur séjour, le lieu précis de résidence, les conditions et voies d’exposition ainsi que le niveau d’imprégnation au chlordécone
Enfin, le nouvel article 2 ne prévoit plus la réparation du préjudice d’anxiété lié au risque de développer à l’avenir une pathologie grave, tel qu’actuellement envisagée par la PPL. Cette dernière propose d’indemniser ce préjudice au seul motif que la personne a résidé en Guadeloupe ou en Martinique entre 1972 et 1992.
Ces conditions d’indemnisation n’apparaissent pas en phase avec les risques réellement encourus par les populations concernées. Si un lien a été scientifiquement établi entre exposition au chlordécone et un nombre très limité de pathologies, il n’existe pas un risque très élevé, ni très probable de développer une maladie grave du seul fait d’avoir été exposé à de la chlordécone. Ces pathologies sont en outre multifactorielles (elles dépendent du sexe, de la génétique, de l’âge, des comportements des personnes). Il est par ailleurs possible de faire baisser rapidement son taux de chlordéconémie en adoptant des habitudes alimentaires appropriées. La reconnaissance scientifique de la nocivité de cette substance ne saurait donc suffire à provoquer un préjudice d’anxiété lié à la crainte de développer une pathologie grave. En effet, contrairement, par exemple, aux victimes de l’amiante, il n’existe pas de lien significatif entre simple exposition au chlordécone et risque élevé de développer une pathologie d’une extrême gravité.
Sans nier la possibilité de développer un tel préjudice, la jurisprudence tant administrative que judiciaire a d’ailleurs fixé des conditions très strictes pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation à ce titre. Il faut que la victime puisse se prévaloir d’éléments très subjectifs et circonstanciés. La cour administrative d’appel de Paris, dans son arrêt du 11 mars 2025, n’a admis que dans un nombre très limité de cas l’existence d’un tel préjudice (pour mémoire, moins de 1% des 1280 requérants ont obtenu gain de cause).
Le dispositif d’indemnisation amiable envisagé, qui doit permettre de faciliter l’indemnisation des victimes, n’a pas vocation à reproduire le raisonnement et l’instruction du juge s’agissant d’un préjudice particulièrement difficile à établir. Il convient de rappeler que les personnes qui estiment présenter un préjudice d’anxiété disposent néanmoins toujours de la possibilité d’obtenir sa réparation en saisissant le juge.
L’indemnisation de ce préjudice créerait une inégalité de traitement avec les victimes des essais nucléaires et de l’amiante, dès lors que le FIVA et le CIVEN n’indemnisent que les personnes ayant effectivement développé une maladie en lien avec l’exposition à l’amiante ou aux essais nucléaires.