Direction de la séance |
Proposition de loi Protection des lanceurs d'alerte (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 300 , 299 ) |
N° 94 19 janvier 2022 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mme DI FOLCO au nom de la commission des lois ARTICLE 1ER |
Alinéas 2 à 4
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 6. – I. – Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance.
Objet
L’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin 2 » définit la notion de lanceur d’alerte et, par ce biais, fixe les conditions de fond pour bénéficier du régime de protection des lanceurs d’alerte (conditions qui tiennent à l’identité du lanceur d’alerte, à ses motivations, à la nature des informations révélées ou divulguées, à la manière dont le lanceur d’alerte en a eu connaissance et au degré de certitude qu’elles fournissent sur les violations visées).
Lors de sa réunion du 15 décembre 2021, la commission des lois a approuvé le choix fait par l’Assemblée nationale de supprimer le critère lié au caractère désintéressé de l’alerte, critère qui laisse une marge d’appréciation excessive au juge, comme l’avaient souligné les députés Raphaël Gauvin et Olivier Marleix dans un rapport d’information.
La commission des lois a également accepté que les informations révélées puissent fournir seulement des soupçons raisonnables qu’une violation a été commise, alors que le droit en vigueur exige que la violation soit manifeste.
En revanche, la commission a apporté deux modifications au texte de l’Assemblée nationale.
En premier lieu, elle a considéré que l’application du régime de protection, en particulier de l’irresponsabilité pénale et civile des lanceurs d’alerte qui portent atteinte à des secrets protégés ou violent une obligation de discrétion ou de confidentialité, ne se justifiait que si les faits signalés ou divulgués présentaient un degré de gravité suffisant. La commission a donc fait le choix de maintenir la condition de gravité exigée par la loi « Sapin 2 », sauf dans le champ matériel d’application limité de la directive du 23 octobre 2019. Ce choix était conforme à une recommandation du Conseil d’État qui, dans son avis sur la proposition de loin avait invité le législateur, « avant de supprimer la condition tenant au caractère "grave et manifeste" des violations signalées ou d'introduire la référence à la notion d'"informations sur des violations" dans l'ensemble du champ couvert par les dispositions nationales », à « évaluer l'impact de telles mesures, notamment en ce qui concerne les risques de détournement du dispositif de protection ».
En second lieu, alors que la loi Sapin 2 inclut dans le régime de l’alerte le signalement ou la divulgation de faits constitutifs d’une « menace » ou d’un « préjudice pour l’intérêt général », la commission des lois s’est inspirée des termes de la directive en substituant à ces formules une référence aux actes ou omissions qui vont « à l’encontre des objectifs » poursuivis par les règles de droit. Sans emporter de conséquences majeures sur le fond, cette modification était motivée par le respect de la séparation des pouvoirs. Dans une démocratie, il n’appartient pas aux tribunaux (appelés à se prononcer sur l’application du régime de protection) de déterminer ce qui relève ou non de l’intérêt général, mais au peuple et à ses représentants.
Contrairement à ce qui a pu être avancé, cette seconde modification n’aurait pas entravé l’action des lanceurs d’alerte de bonne foi.
Soit l’exemple d’Antoine Deltour, dont les révélations sur les pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales de certaines multinationales sont à l’origine du scandale LuxLeaks. Non seulement la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale (et non pas seulement contre la fraude) sont des objectifs constamment poursuivis par le législateur, mais la lutte contre l’évasion fiscale est même un objectif de valeur constitutionnelle (Cons. const., n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010 et n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011), et la lutte contre l’optimisation fiscale un objectif reconnu par le Conseil constitutionnel comme pouvant justifier des atteintes au principe d’égalité (Cons. const., n° 2020-842 QPC du 28 mai 2020). Ces révélations auraient donc été couvertes par le régime de l’alerte tel que défini par la commission des lois.
Quant à Irène Frachon, les faits qu’elle a eu le courage de révéler – la commercialisation d’un médicament, le Mediator, dont les laboratoires Servier connaissaient les effets toxiques – ont été reconnus par le tribunal correctionnel de Paris comme constitutifs des délits de tromperie aggravée d’homicide et blessures involontaires. Il s’agit là, non pas seulement d’actes allant à l’encontre des objectifs poursuivis par la loi, mais d’actes illégaux et même pénalement réprimés, qui entrent pleinement dans le régime de l’alerte.
Néanmoins, le rapporteur est sensible aux critiques selon lesquelles les modifications apportées en commission peuvent affecter l’intelligibilité de la loi pour un lecteur non averti et, surtout, peuvent compliquer la tâche des organisations (administrations, entreprises...) qui devront mettre en place des canaux de signalement interne et déterminer quels signalements entrent dans le champ du régime légal de l’alerte.
Dans un souci de compromis, il est donc proposé de revenir à la définition de la notion de lanceur d’alerte prévue par le texte de l’Assemblée nationale, tout en maintenant à l’article 3 des conditions suffisamment exigeantes pour que des informations secrètes ou confidentielles puissent être divulguées publiquement sans signalement préalable à l’autorité compétente.