Direction de la séance |
Projet de loi organique Simplification des expérimentations de l'article 72 de la Constitution (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 83 , 82 ) |
N° 3 rect. 30 octobre 2020 |
Question préalableMotion présentée par |
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Mmes ASSASSI, CUKIERMAN et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE |
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution (n° 83, 2020-2021).
Objet
Les auteurs de cette motion s’opposent à ce que le présent texte soit débattu à plusieurs égards, tant sur la méthode utilisée par le Gouvernement que sur le fond.
Tout d’abord, le projet de loi constitutionnel “pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace” déposé le 9 mai 2018 proposait d’introduire deux modifications de l’article 72 de la Constitution. D’une part, permettre aux collectivités de même niveau d’avoir des compétences différentes. D’autre part, de permettre aux collectivités de déroger aux lois et règlements de manière pérenne. Ces deux dispositions introduisaient pleinement le principe de différenciation territoriale dans notre Constitution. Mais l’examen de ce projet de loi a été arrêté et ces propositions n’ont donc pas pu aboutir. L’existence même de cet article 15 du projet de loi constitutionnelle montrait la nécessité de modifier notre Constitution pour introduire de tels éléments de différenciation. Tenter aujourd’hui de passer par la voie organique pour faire voter ces mesures nous semble contraire à la hiérarchie des normes. Les auteurs de la présente motion estiment qu’il n’y a pas lieu de débattre de propositions qui nécessitent une réforme de la Constitution. Alors qu’en 2018 le Gouvernement actait de la nécessité d’une révision constitutionnelle aujourd’hui une loi organique suffirait, au seul motif que le Conseil constitutionnel a jugé lors d’une décision datant du 6 mai 1991 que le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit (…) ». D’une part cette décision qui viendrait justifier la modification de la nature même de l’expérimentation date de 1991, époque à laquelle les expérimentations n’étaient pas encore dans la loi (organique ou constitutionnelle). D’autre part cette décision concernait la création d’un fonds de solidarité pour les communes d’Ile de France, dont des aspects financiers de péréquation intercommunale et non des questions de compétences ou de dérogation à la loi. Les auteurs de la motion estiment que la jurisprudence invoquée pour parer au principe d’égalité ne correspond pas aux situations que permettrait le présent projet de loi. On peut légitimement penser que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est amenée à évoluer et à se durcir sur ce sujet en réaction aux orientations nouvelles, inédites, données par l’exécutif à l’organisation territoriale.
En introduisant une nouvelle issue à l’expérimentation, la généralisation sur seulement une partie du territoire, le Gouvernement remet gravement en question les principes constitutionnels d’égalité entre les collectivités et d’égalité des citoyens devant la loi. Cela remet également en cause la forme même de notre République, son caractère uni et indivisible, ouvrant la voie au fédéralisme et sapant la force de la loi nationale. La différenciation c’est la normalisation de lois particulières contre des lois pour tous les citoyens. Les auteurs de la motion jugent qu’en souhaitant permettre aux expérimentations d’être généralisées à seulement une partie du territoire de la République le Gouvernement s’engage sur un terrain glissant comportant de multiples risques et ne répond pas de la bonne manière aux attentes des élus locaux. Ce projet de loi ne se contente pas de faciliter les expérimentations, il consiste bien en un “big bang territorial” malgré les tentatives de dissimulation. Son article 6 est un bouleversement radical de notre République et de l’organisation territoriale française. L’accepter, c’est aller vers une République divisée, dans laquelle les collectivités seront en concurrence et feront passer leurs particularismes avant l’intérêt général. Le rôle du législateur ne doit pas être de créer de la différence, mais de réunir autour de buts communs.