Direction de la séance |
Projet de loi organique Report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 514 , 513 ) |
N° 1 rect. bis 17 juin 2020 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mmes RENAUD-GARABEDIAN, DINDAR, Anne-Marie BERTRAND et NOËL, MM. Daniel LAURENT, SIDO, BOUCHET et MAGRAS, Mmes BERTHET, MORHET-RICHAUD et IMBERT, MM. CHATILLON, BONHOMME et Philippe DOMINATI, Mmes BOULAY-ESPÉRONNIER et CANAYER, MM. LAMÉNIE, LEFÈVRE, RAISON, CALVET, WATTEBLED et DUPLOMB, Mme GARRIAUD-MAYLAM et M. DECOOL ARTICLE 1ER |
Rédiger ainsi cet article :
Objet
Cet amendement vise à réaffirmer le renouvellement partiel du Sénat en deux séries, avec une durée des mandats de six ans. Les Sénateurs des Français établis hors de France (ou de Guyane ?) ne sauraient être exclus du prochain renouvellement sénatorial sans remettre en cause le rythme de renouvellement triennal du Sénat qui en structure le fonctionnement depuis 1875. La durée de mandat des futurs Sénateurs ne peut être ramenée à cinq ans – une diminution inédite – sans créer des inégalités entre Sénateurs. Cette situation ouvrirait une brèche dont on ne saurait comment elle pourrait être exploitée à l’avenir, des situations particulières ou exceptionnelles pouvant éventuellement tout justifier. Notre amendement permet également d’écarter tout risque d’inconstitutionnalité d’une élection en septembre 2020.
Le Gouvernement veut imposer au Sénat une modification substantielle dans son mode de renouvellement et de fonctionnement, nécessitant l’adoption d’un projet de loi organique. Il le fait de façon pernicieuse : en vidant de son contenu le texte prévoyant le report de l’ensemble de la série 2, dans le cas où le 2nd tour des élections municipales ne pourrait se tenir, hypothèse qui n’est désormais plus fondée. Ce faisant, son introduction par voie d’amendement du « décrochage » de l’élection des six sénateurs des Français établis hors de France de la série 2 n’a été soumise à aucun examen préalable du Conseil d’État, privant ainsi le Parlement d’un avis juridique éclairé.
Or cet avis aurait pu révéler que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur laquelle se fonde le Gouvernement pour justifier ce décrochage permet une lecture sensiblement différente, voire opposée. En effet, si le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision n°2005-529 DC du 15 décembre 2005 qu’il fallait « éviter » (il s’agit donc d’un objectif et non d’une obligation) que les Sénateurs soient élus « par un collège en majeure partie composé d’élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal », il évoquait en l’espèce une série de Sénateurs, et non des Sénateurs pris individuellement. Dans le commentaire du Conseil constitutionnel sous sa décision de 2005, il écrit même qu’« il est préférable (sans être indispensable) de rapprocher à l’avenir l’élection des sénateurs de la désignation par les citoyens de la majeure partie du collège électoral sénatorial ». Surtout, le Conseil constitutionnel n’a jamais eu à examiner les risques relatifs à la constitutionnalité d’un renouvellement partiel d’une série de sénateurs.
Or le Sénat est une Assemblée, c’est-à-dire un collectif. La modification proposée par le Gouvernement est d’autant plus discutable qu’elle revient en outre à considérer que chaque Sénateur représente non « la Nation tout entière » mais la « population de sa circonscription d’élection », considération qui est contraire à une jurisprudence constance du Conseil constitutionnel (voir ainsi Conseil constitutionnel, n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, ou bien n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française).
Ainsi, si l’on peut comprendre que le décalage dans le temps des élections consulaires - dont les conseillers et délégués qui en sont issus forment le collège électoral des Sénateurs des Français établis hors de France - justifie le décalage de l’élection des Sénateurs représentant les Français établis hors de France, aucune disposition constitutionnelle ne l’impose. Il pourrait tout aussi bien être considéré qu’il appartient aux élus consulaires actuels de voter, de façon à préserver l’élection par moitié du Sénat et la durée normale des mandats, les six Sénateurs des Français établis hors de France faisant partie intégrante de la série 2 (cf. tableau 5 du code électoral).
L’adoption en l’état de ce projet de loi a des conséquences sérieuses qui concernent tous les Sénateurs. Voter ce texte implique d’admettre une rupture d’égalité : entre le mandat des Sénateurs et celui de la moitié des Sénateurs représentant les Français établis hors de France. Cette rupture d’égalité serait d’ailleurs double. D’une part elle aboutit à prolonger d’un an le mandat des six sénateurs renouvelables. De l’autre elle implique, pour retrouver une cohérence d’ensemble, d’écourter de la même durée le mandat des Sénateurs nouvellement élus.
Ce faisant, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, le législateur organique amputerait certains mandats de Sénateurs. Telle était l’intention du Gouvernement en 2005, à laquelle il a renoncé suite au rapport du Sénateur Jean-Jacques Hyest réalisé au nom de la commission des lois du Sénat, arguant que le rôle stabilisateur et la permanence de la Haute Assemblée impliquent une durée de mandat plus longue que celles du Président de la République et des députés.
Agissant de la sorte, le législateur organique porterait atteinte – aujourd’hui, mais cela pourrait concerner d’autres territoires demain – à la représentation des Français établis hors de France et au principe constitutionnel d’égalité. Les Sénateurs concernés ne feraient plus partie de la série 2 mais seraient bien des Sénateurs de seconde zone. Élus plus tardivement ils auraient – en sus d’un mandat plus court – des compétences amoindries, ne pouvant être élevés aux instances du Sénat pour lesquelles un nombre important de désignations a lieu après chaque renouvellement : bureau du Sénat, groupes politiques, commissions, groupes d’études et d’amitiés, organismes externes… Ils ne pourraient pas non plus participer à l’élection du Président du Sénat en 2020, en parfaite contradiction avec les dispositions de l’article 32 de la Constitution. Il s’agit d’une situation sensiblement distincte d’une élection partielle, pour laquelle l’élection complète de la série concernée a eu lieu.
Le Gouvernement propose ainsi de créer des Sénateurs à deux vitesses sans étude juridique préalable. S’agissant d’une loi organique relative au Sénat, elle doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. La saisine du Conseil constitutionnel est obligatoire. Toutefois, son contrôle demeure restreint puisqu’en la matière le Conseil a jugé « qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu’il ne lui appartient donc pas de rechercher si le but que s’est assigné le législateur pouvait être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif » (décision n°2005-529 DC du 15 décembre 2005).
En l’espèce, quatre voies peuvent être avancées : l’une, simple, consiste à permettre au collège électoral actuel de voter ; une deuxième - le décrochage - implique à nos yeux des conséquences bien trop graves. La troisième option, qui consisterait à prolonger de trois ans – ce qui est beaucoup – le mandat des six sénateurs des Français de l’étranger en renouvellement de façon à préserver l’unité du renouvellement sénatorial, ne nous semble pas justifiée à partir du moment où la première voie existe et qu’elle est admise par le Conseil constitutionnel. Enfin, la quatrième option consiste à reporter l’élection de toute la série 2 jusqu’à ce que l’ensemble des grands électeurs aient été renouvelés. Cette solution n’est pas nécessaire à partir du moment où « la majeure partie d’élus » a été renouvelée.
Ainsi, pour obtenir la validation du Conseil constitutionnel et que ne plane aucun doute sur la constitutionnalité de l’élection des six sénateurs des Français établis hors de France avec le collège électoral actuel, cet amendement propose de renverser la logique du Gouvernement. Au lieu de soumettre au contrôle du Conseil constitutionnel la voie que veut imposer le Gouvernement – tout en ayant conscience que le Conseil ne réalisera qu’un contrôle restreint – il propose une version permettant de s’assurer que l’élection ait bien lieu en septembre 2020.
Cette précision est, dans l’état actuel du droit, inutile, puisque l’absence de projet de loi organique entraînerait de facto la convocation de l’ensemble des grands électeurs, renouvelés ou non, à la date initialement prévue. Mais elle permet d’affirmer notre opposition au morcellement sénatorial que nous propose le Gouvernement, soumettre au Conseil ce choix politique propre au Sénat et s’assurer qu’aucun recours contre l’élection des futurs Sénateurs ne saurait être intentée sur le motif d’un non-renouvellement du collège électoral, le Conseil constitutionnel ayant déjà eu à se prononcer sur la question. Il statuera ainsi sur notre solution alternative qui, si elle n’est pas parfaite car les circonstances sont loin de l’être, préserve trois principes à notre sens fondamentaux : l’unité du renouvellement sénatorial, la durée des mandats et l’égalité entre Sénateurs.