Direction de la séance |
Proposition de loi Renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations (2ème lecture) (n° 364 , 363 ) |
N° 1 6 mars 2019 |
Exception d'irrecevabilitéMotion présentée par |
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MM. KANNER, DURAIN, SUEUR, Jacques BIGOT et FICHET, Mmes de la GONTRIE et HARRIBEY, MM. KERROUCHE, LECONTE, MARIE, SUTOUR et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain TENDANT À OPPOSER L'EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ |
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, et adoptée sans modification par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale en deuxième lecture, visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations (n° 364, 2018-2019).
Objet
En première lecture, à l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a adopté une nouvelle rédaction de l’article 2 de la proposition de loi récrivant partiellement cet article et précisant les conditions dans lesquelles le préfet pourra prononcer l’interdiction administrative préventive de manifester.
L’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions pourrait justifier que soit envisagée une telle procédure. Toutefois, dans sa rédaction actuelle, la légalité de cette disposition est contestable en dépit des améliorations que le Gouvernement a mis en avant pour justifier son adoption.
Bien qu’elle soit contextualisée, la mesure de police administrative reposerait sur la seule constatation par le représentant de l’Etat dans le département ou le préfet de police d’« agissements » doublée d’un risque supposé de « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » et, à fortiori, pourrait s’appliquer à des manifestations non déclarées « dont il a connaissance ».
En définitive, la décision d’interdiction préventive de manifester serait laissée à la seule appréciation du préfet. Il n’est requis aucun élément extérieur à la volonté de celui-ci permettant d’objectiver la décision, telle que l’existence d’une condamnation de justice préalable.
Afin d’éviter qu’elles soient discrétionnaires, les mesures de police administrative doivent reposer sur des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé.
Ce grief général est accentué par les conséquences de la mesure administrative d’interdiction de manifester qui permettrait au préfet d’imposer une obligation de pointage ainsi que l’interdiction de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée d’un mois.
Dès lors, les garde-fous prévus dans le texte de l’article 2 de la proposition de loi présentent davantage un caractère formel d’autant qu’en prévoyant dans certains cas que l’arrêté du préfet serait « exécutoire d’office et notifié à la personne concernée par tout moyen, y compris au cours de la manifestation » le droit à un recours effectif devant le juge serait rendu impraticable.
Pour les auteurs de la motion, l’article 2 de la proposition de loi méconnait les articles 4 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui affirment les principes de liberté individuelle et d’égalité ; l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui prévoit que ces droits doivent être garantis et l’article 66 de la Constitution qui fait du juge judiciaire le gardien de la liberté individuelle.
En outre, L’article 4 de la proposition de loi crée un délit passible d’une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende pour dissimulation du visage dans une manifestation.
A la suite des travaux du Sénat visant à caractériser l’intentionnalité du délit, Madame Alice Thourot, rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée nationale avait proposé au stade de l’examen du texte en commission d’apporter encore plus de précisions dans le but d’assurer la proportionnalité de la mesure.
Mais en séance publique, l’adoption d’un amendement inversant la charge de la preuve a simplifié à l’excès et déséquilibré fortement le dispositif.
La proportionnalité entre les atteintes portées au droit de manifester, droit constitutionnellement garanti, et les objectifs poursuivis n’est pas respectée au regard de la peine envisagée. Les auteurs de la motion rappellent que les articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen imposent un principe de modération dans l'utilisation de l'arme pénale qui doit aussi répondre à un impératif de prévisibilité pour le justiciable.
La loi doit répondre à des objectifs de justesse et de précision rédactionnelle pour ne pas risquer d'être la source des abus qu'elle doit conjurer.