Direction de la séance |
Projet de loi Croissance et transformation des entreprises (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 255 , 254 ) |
N° 23 rect. 29 janvier 2019 |
AMENDEMENTprésenté par |
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M. LONGUET, Mme BONFANTI-DOSSAT, M. BONHOMME, Mme BORIES, M. BRISSON, Mme BRUGUIÈRE, MM. CHATILLON, de NICOLAY et DAUBRESSE, Mmes DEROCHE, DEROMEDI et GRUNY, MM. LAMÉNIE, Daniel LAURENT, LEFÈVRE, MAGRAS, MANDELLI et MAYET, Mme Marie MERCIER, MM. PIEDNOIR, PONIATOWSKI, PRIOU et REGNARD, Mme RAMOND et MM. RAPIN, REVET et VASPART ARTICLE 21 |
Après l’alinéa 17
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 131-1-3. – Dans les contrats d’assurance sur la vie ou de capitalisation dont le capital ou la rente garantis sont exprimés en tout ou partie en unités de compte au sens du deuxième alinéa de l’article L. 131-1 du présent code, la valeur de ces unités de compte, en cas de demande de versement de primes, de rachat, de transfert, d’arbitrage ou d’avance par le souscripteur ou l’adhérent, est déterminée, lorsque la périodicité de valorisation est inférieure à trente jours, sur la base d’une valeur des actifs constituant ces unités de compte arrêtée à une date postérieure à la date de réception par l’assureur de ladite demande, indépendamment, le cas échéant, de la date de publication de cette valeur.
« Toute clause contraire est réputée non écrite.
« Le présent article s’applique aux contrats et adhésions conclus à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi n° du relative à la croissance et à la transformation des entreprises, ainsi qu’aux contrats et adhésions en cours à la même date.
« Pour les contrats et adhésions en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi n° du relative à la croissance et à la transformation des entreprises dont les stipulations ne sont pas conformes aux dispositions du présent article, la valeur des unités de compte est déterminée sur la base de la première valeur des actifs constituant ces unités de compte, arrêtée à compter du jour suivant la date de réception par l’assureur de ladite demande, indépendamment, le cas échéant, de la date de publication de cette valeur.
« Pour ces mêmes contrats et adhésions, dans un délai de cinq ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi n° du relative à la croissance et à la transformation des entreprises, le souscripteur ou l’adhérent peut, s’il s’y croit fondé, saisir le juge du tribunal de grande instance compétent aux fins de rechercher, dans les conditions du droit commun, s’il y a lieu de réparer le préjudice éventuellement né de la modification de son contrat ou de son adhésion opérée par le présent article. L’indemnité éventuellement allouée ne peut excéder le montant de la plus-value réalisée par le souscripteur ou l’adhérent sur son contrat ou son adhésion au cours des cinq années précédant la date d’entrée en vigueur de la loi n° du relative à la croissance et à la transformation des entreprises. » ;
Objet
Cet amendement a pour objet de mettre fin, en ce qui concerne les contrats d’assurance sur la vie ou de capitalisation dont la valeur est exprimée en unités de compte, aux opérations réalisées sur la base de valeurs liquidatives antérieures à la date de passation de son ordre par l’assuré. Les clauses « à cours connu », qui ont généralement une durée viagère, permettent en effet à l’assuré d’arbitrer à son gré, et sans limite quantitative, entre des supports à faible risque et des supports risqués. De telles pratiques d’arbitrage présentent un risque économique majeur non seulement pour les compagnies d’assurance concernées, mais aussi pour la collectivité des assurés.
L’usage croissant et intensif des possibilités d’arbitrage qu’offrent ces clauses, dont les conséquences n’avaient pas été anticipées lors de la conception des produits d’assurance émis dans une optique d’épargne à long terme et non de spéculation, peut engendrer des pertes considérables pour l’assureur. Cela tient à la particularité des contrats d’assurance-vie multi-supports. Contrairement à ce qui se produit avec un compte-titres (dont le titulaire détient lui-même, directement, les titres considérés), les unités de comptes de ces contrats, qu’il s’agisse de parts d’organismes de placement collectifs (« OPC ») ou de titres vifs, appartiennent en propre à l’assureur en représentation de ses engagements envers l’assuré. Pour honorer son obligation vis-à-vis de l’assuré, l’assureur doit donc vendre les titres correspondant aux unités de comptes lui appartenant en propre. Mais alors que l’assuré lui donne l’ordre d’exécuter ses obligations à cours connu, l’assureur doit, lui, le faire à cours inconnu, selon les règles normales assurant l’intégrité du marché et l’égalité des porteurs. Dans l’hypothèse où ce cours, très volatil, aura brutalement baissé, l’assureur doit donc assumer l’intégralité de la perte.
Ces pratiques, qui dénaturent la finalité d’investissement à long terme de l’assurance-vie, portent aussi atteinte au reste de la collectivité des épargnants en générant des coûts pour l’OPC qui réduisent sa performance au détriment des autres porteurs. La collectivité publique ne saurait évidemment se désintéresser d’un péril de cette nature. La nécessité de garantir l’ordre public économique justifie à tous égards que le législateur intervienne et interdise des pratiques d’une dangerosité aussi manifeste.
En outre, l’Autorité des marchés financiers condamne les opérations de « market timing » consistant pour l’investisseur « arbitragiste » à tirer parti d’un écart de cours (ou de valorisation). Constatant une hausse de cours (ou de valorisation) au moment où il passe son ordre à l’assureur par rapport au cours (ou valorisation) passé, donc cours connu de lui et dont il profite, l’assuré « arbitragiste » va donc acheter des unités de compte sur la base d’un prix en quelque sorte « périmé », réalisant ainsi un gain indu, certain et sans prise de risque. De même, il revendra en cas de baisse de cours (ou valorisation) au jour de la passation de son ordre à l’assureur, à un cours (ou valorisation) supérieur passé, cours toujours connu de l’assuré, lui évitant une perte calculée d’avance. Une doctrine autorisée y voit « une aberration comparable à la situation où un parieur connaîtrait le cheval gagnant au moment de son pari, ou le numéro sortant de la roulette au moment de sa mise en jeu » (J. Bigot, Semaine juridique, G., n° 49, 5 décembre 2011, 1370).
Cet amendement :
- insère un nouvel article au code des assurances énonçant que la valorisation des opérations sur les unités de compte est déterminée sur la base d’une valeur arrêtée postérieurement à la date de réception par l’assureur de la demande d’opération, indépendamment de la date de publication de cette valeur.
- répute non écrite toute clause contraire.
- prévoit que cette interdiction vaut pour l’avenir, tant pour les nouveaux contrats et adhésions que pour ceux en cours d’exécution à la date d’entrée en vigueur de la loi.
- énonce que les clauses sur valeur passée sont automatiquement transformées en clauses sur valeur future, identiques à celles que l’on trouve dans l’immense majorité des contrats d’assurance-vie.
Considérant leur incidence sur les contrats en cours, ces dispositions rendent néanmoins possible l’indemnisation des souscripteurs et adhérents qui auraient subi un préjudice à raison de la modification légale de leurs contrats ou adhésions, et souhaiteraient en demander la réparation.
Il est prévu qu’une telle action doit être introduite, au plus tard, dans les cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Cette limite vise à garantir la sécurité juridique du dispositif ainsi que la cohérence d’une mesure destinée à lutter contre les risques associés à une spéculation excessive, a fortiori sur une longue période. Il contribue également à garantir qu’aucune indemnisation ne puisse être allouée dans des conditions contraires aux exigences, notamment constitutionnelles, relatives à la détermination des préjudice indemnisables.
Dans une telle hypothèse, et compte tenu des règles du droit commun de la responsabilité qui demeurent, toutes, entièrement applicables, notamment en matière de preuve (article 1353 du code civil), interdiction est faite au juge de prononcer une indemnisation du préjudice supérieure au montant des gains effectivement réalisés par lui au cours des cinq années précédant la date [d’entrée en vigueur de la présente loi/de première publication de l’amendement]. Ce plafond se justifie par le fait qu’il convient d’éviter qu’une réparation sans bornes des préjudices aboutisse à faire renaître le risque de fragilisation de l’ensemble du système que la présente mesure entend précisément éviter. Les modalités de limitation choisies sont par ailleurs en rapport direct avec l’objet de la mesure. Les profits passés effectivement réalisés par l’arbitragiste à cours connu donnent en effet une mesure très concrète de la vraisemblance de son manque à gagner futur. La longue durée choisie (cinq ans) assure par ailleurs le caractère justement proportionné de cette indemnisation.