Académie nationale de chirurgie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant statut de personne morale de droit public à statut particulier à l'Académie nationale de chirurgie, présentée par Mme Pascale Gruny et M. Alain Milon, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

M. Alain Milon, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.) Cette proposition de loi vise à réparer une injustice, tout du moins à rétablir une équité. Alors que le statut de personne morale de droit public à statut particulier a été reconnu à l'Académie nationale de médecine, en 2013, puis à l'Académie nationale de pharmacie, en 2016, l'Académie nationale de chirurgie demeure sous la forme d'une association de la loi 1901.

Des arguments sont avancés pour justifier cette distorsion, notamment par l'Académie nationale de médecine. Ils tendent à démontrer le caractère superfétatoire, voire dangereux, de l'octroi du statut de personne morale de droit public à statut particulier à l'Académie nationale de chirurgie. Cette évolution serait source d'affaiblissement, de parcellisation, de concurrence - donc de perte d'influence auprès des pouvoirs publics.

Pourquoi avons-nous tendance à concevoir l'émergence de l'autre comme un danger plutôt qu'une opportunité ?

Ces réticences pourraient s'entendre si elles avaient empêché la création de l'Académie nationale de pharmacie ou si l'Académie nationale de chirurgie était créée ex nihilo - or elle existe depuis 1875.

Devant l'Académie nationale de médecine, le professeur Philippe Marre s'est interrogé sur la signification de la double représentation de la chirurgie française dans les deux académies : « L'Académie nationale de chirurgie et la deuxième division de l'Académie nationale de médecine se vivent de plus en plus comme complémentaires. Loin de créer la confusion, l'expression de la chirurgie française dans deux institutions académiques différentes est vécue comme une richesse. Elles voient coopérer leurs différentes spécialités dans les nouvelles pratiques "mini-invasives" et "interventionnelles", qu'elles soient médicales ou chirurgicales, pour le plus grand bien des patients. »

Cette approche bat en brèche les résistances de ceux qui redoutent un affaiblissement de l'Académie nationale de médecine.

Accorder le statut de personne morale de droit public à statut particulier à l'Académie nationale de chirurgie, si vous en décidez ainsi, sera une marque de reconnaissance légitime de la particularité du métier de chirurgien.

Cette spécificité a été soulignée de façon fort élogieuse, voire complaisante, par Paul Valéry, dans un discours prononcé en 1938 au Congrès de chirurgie : cette discipline, disait-il, « demande un si riche recueil de facultés, une mémoire si prompte et si pleine, une science si sûre, un caractère si soutenu, une présence d'esprit si vive, une résistance physique, une acuité sensorielle, une précision des gestes si peu communes, que la coïncidence de tant de ressources distinctes dans un individu fait du chirurgien un cas tout à fait peu probable à observer. »

À la même tribune, Jean d'Ormesson disait en 1985 : « Vous êtes des mystiques du réel et de l'invention. Votre premier souci est de réparer ce qui ne marche pas et de faire fonctionner ce qui ne fonctionne plus. Vous êtes les mécanos du Bon Dieu, les ingénieurs-conseils du hasard et de la nécessité. »

Derrière ces propos qui peuvent sembler dithyrambiques, un constat lucide : celui des aptitudes indispensables à l'exercice d'une profession en pleine mutation, sous l'effet de la robotique, de l'intelligence artificielle et de la simulation.

Dès lors, comment ne pas conférer aux chirurgiens la reconnaissance qu'ils méritent ? Le rapporteur Khalifé Khalifé et Pascale Gruny vous présenteront plus en détail les raisons et les conséquences de l'évolution proposée. Pour ma part, je citerai à nouveau Valéry : « Au moment où je ne sais quels délires, quelles manifestations tétaniques et quelles alternatives trop souvent le témoin des derniers moments d'une civilisation qui semblent vouloir finir dans le plus grand luxe de moyens de détruire et se détruire, il est bon de se tourner vers des hommes qui ne retiennent des découvertes, des méthodes et des progrès techniques que ce qu'ils peuvent appliquer au soulagement et au salut de leurs semblables. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Khalifé Khalifé, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi d'Alain Milon et Pascale Gruny vise à conférer à l'Académie nationale de chirurgie la qualité de personne morale de droit public à statut particulier placée sous la protection du Président de la République.

Ce texte, symbolique, a soulevé certaines interrogations, voire des inquiétudes. Je tenterai d'y répondre.

L'Académie nationale de chirurgie est une institution ancienne, héritière d'une tradition monarchique ayant donné naissance à des académies dès le XVIIe siècle : l'Académie des sciences est fondée en 1666 par Colbert ; l'Académie royale de chirurgie est créée en 1731, suivie par l'Académie royale de médecine en 1778. Toutes deux dissoutes après la Révolution française, elles sont conjointement restaurées par une ordonnance royale de 1820 dans une Académie royale de médecine.

Depuis deux siècles, médecins, chirurgiens et pharmaciens cohabitent au sein de cette académie, devenue Académie nationale de médecine ; la transdisciplinarité est au coeur de l'identité de cette institution, où siègent aussi d'éminents juristes, philosophes ou sociologues. Parallèlement, pharmacie et chirurgie ont continué à se structurer de façon autonome à partir du XIXe siècle. Les académies de chirurgie et de pharmacie s'inscrivent aujourd'hui dans une logique de complémentarité.

Actuellement, l'Académie nationale de chirurgie est une association régie par la loi de 1901. Ses missions ne sont pas concurrentes de celles de l'Académie nationale de médecine, ce dont témoigne la collaboration fructueuse entre les deux institutions.

Cette proposition de loi vise à préserver l'équilibre actuel, qui permet de cultiver des champs de recherche s'enrichissant mutuellement. Les missions de l'Académie nationale de chirurgie n'ont pas vocation à être modifiées.

La qualité de personne morale de droit public à statut particulier placée sous la protection du Président de la République a été conférée à l'Académie nationale de médecine en juillet 2013. En janvier 2016, cette même reconnaissance a été accordée à l'Académie nationale de pharmacie, afin, essentiellement, de développer la recherche dans les sciences pharmaceutiques et biologiques. L'existence d'une division de pharmacie au sein de l'Académie nationale de médecine n'a pas constitué un obstacle à l'évolution statutaire de l'Académie nationale de pharmacie.

L'ambition de cette proposition de loi pour l'Académie nationale de chirurgie n'est pas différente : soutenir l'exercice de ses missions. Cette institution valorise l'excellence du savoir et des pratiques de la chirurgie française, s'investit dans la formation continue des chirurgiens et la promotion de la recherche et de l'innovation. À l'heure où l'intelligence artificielle bouleverse les pratiques de la discipline, il est essentiel de conforter sa légitimité et d'en faire un interlocuteur à part entière du Gouvernement. L'Académie nationale de chirurgie oeuvre déjà aux côtés de l'Agence de l'innovation en santé et collabore avec la Haute Autorité de santé (HAS) et le monde de la recherche.

Sa consécration comme personne morale de droit public à statut particulier assurera aussi son indépendance, notamment financière. Il est prévu qu'elle s'administre librement et bénéficie de l'autonomie financière, sous le seul contrôle de la Cour des comptes. Je précise que ce statut n'emporte pas de conséquences automatiques en termes de soutien financier public. Si l'Académie nationale de médecine bénéficie de personnels affectés et d'une subvention annuelle obligatoire, la subvention perçue par l'Académie nationale de pharmacie ne revêt aucun caractère obligatoire et son montant est mineur.

Enfin, la reconnaissance de ce statut particulier emporte certains effets juridiques, comme l'insaisissabilité des biens et la compétence du juge administratif.

Entre des académies héritières d'une histoire commune également prestigieuse, la différence de traitement qui subsiste aujourd'hui, plaçant l'Académie nationale de chirurgie dans une situation d'infériorité symbolique, n'apparaît pas justifiée. Donnons à cette discipline les moyens de faire progresser une expertise spécialisée et la recherche académique. Au reste, le Conseil national de l'ordre a exprimé un soutien sans réserve à ce texte.

Compte tenu des réserves exprimées, j'ai souhaité présenter des amendements susceptibles de rassurer tous les acteurs. En commission, nous avons ainsi maintenu le nom actuel « Académie nationale de chirurgie », sans y adjoindre les pratiques interventionnelles innovantes. En séance, nous vous proposerons de prévenir tout risque de concurrence avec les travaux de l'Académie nationale de médecine et de différer l'entrée en vigueur du dispositif pour permettre au Gouvernement d'en préparer les conséquences réglementaires.

Les origines et l'histoire communes des trois académies comme la nature des missions de l'Académie nationale de chirurgie plaident pour lui reconnaître ce statut particulier. Sans qu'il y ait risque de redondance ou de concurrence, son rôle sera ainsi justement reconnu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention .  - Je souscris à l'intention de mieux valoriser la chirurgie, mais les modalités proposées par les auteurs de la proposition de loi soulèvent un certain nombre de risques et d'inconvénients qui pourraient en réduire considérablement l'intérêt.

Consacrer une Académie nationale de chirurgie distincte de l'Académie nationale de médecine risquerait de fragmenter le paysage médical, entraînant nécessairement une dissociation des expertises et des institutions. Ce serait dommageable pour la connaissance scientifique et la recherche médicale - donc, à terme, pour les patients.

La nouvelle Académie nationale de chirurgie risquerait de créer de la confusion avec les missions dévolues à la deuxième division de l'Académie nationale de médecine. Or une individualisation accrue des deux institutions irait à rebours des évolutions scientifiques en cours.

Cette proposition de loi interroge sur l'opportunité d'isoler la chirurgie et les pratiques interventionnelles innovantes du reste de la médecine, surtout à l'heure où la réalité des pratiques médicales tend au contraire à converger au bénéfice d'une approche plus coordonnée. Nous craignons de voir se dissocier disciplines chirurgicales et disciplines médicales, alors que c'est leur rapprochement qui permet d'améliorer la prise en charge des patients.

L'intégration de la radiologie interventionnelle dans les procédures chirurgicales constitue un exemple de complémentarité. De même, l'oncologie chirurgicale et la pharmaco-chirurgie montrent que la combinaison de la chimiothérapie, de la radiothérapie et des interventions chirurgicales peut offrir une prise en charge complète et personnalisée du cancer. Par ailleurs, les progrès de la médecine régénérative et de la bio-ingénierie ouvrent des horizons nouveaux pour la chirurgie reconstructive, avec l'utilisation de thérapies cellulaires pour restaurer ou remplacer les tissus endommagés.

Il est clair que l'avenir est à une approche intégrée, où médecine et chirurgie s'entremêlent pour offrir des solutions de traitement plus efficaces et moins invasives et continuer à repousser les frontières de la connaissance scientifique.

Enfin, cette proposition de loi pourrait susciter des questions opérationnelles, notamment de fonctionnement et de financement. L'Académie nationale de chirurgie, reconnue d'utilité publique, dispose déjà d'un certain nombre de capacités juridiques et opérationnelles. Modifier son statut pourrait, sans bénéfices tangibles, être source de redondances, alors que les pouvoirs publics se sont engagés dans une démarche de simplification.

Je partage pleinement votre volonté de donner à la discipline chirurgicale la place qu'elle mérite, mais, pour toutes les raisons que je viens d'exposer, le Gouvernement est défavorable à ce texte. Nous souhaitons plutôt encourager le développement des interactions entre l'Académie nationale de médecine et l'Académie nationale de chirurgie et les synergies entre toutes les disciplines médicales, au bénéfice de l'innovation et de l'amélioration des soins.

Mme Marie-Claude Lermytte .  - L'Académie nationale de chirurgie, association de droit privé reconnue d'utilité publique, ne jouit pas du même statut que ses pendants en médecine et en pharmacie. Cette proposition de loi y remédie en lui donnant le statut de personne morale de droit public à statut particulier. Mais pourquoi faudrait-il lui donner le même statut qu'aux deux autres ? La réponse reste insuffisamment étayée.

L'égalité n'est pas un argument en soi : ce changement de statut n'a d'intérêt que si patients et professionnels y gagnent. Or quelle serait la plus-value de bousculer la gouvernance d'une institution qui semble fonctionner très bien ? L'Académie nationale de chirurgie ne sollicitera aucun financement complémentaire, mais ce changement lui permettrait de le faire ; ce point ne nous paraît pas suffisamment clair.

La chirurgie fait pleinement partie de la médecine. Il y a d'ailleurs, à juste titre, une section de chirurgie au sein de l'Académie nationale de médecine. Renforçons-la si nécessaire, mais ne prenons pas le risque d'une forme de compétition, voire de concurrence, entre les deux académies. Dans de nombreux domaines, la concurrence peut être saine ; mais, en l'occurrence, je n'en suis pas convaincue.

Alors que les progrès techniques en matière de chirurgie vont conduire à revoir les frontières entre disciplines, il est plus que jamais nécessaire que chirurgie et médecine collaborent étroitement.

Monsieur le rapporteur, vous avez expliqué en commission que ce texte avait une portée essentiellement symbolique. Bien des symboles mériteraient une étude approfondie en vue d'évolutions législatives... Je ne pense pas que celui-ci soit une priorité.

Je n'ai pas plus d'arguments contre ce texte que ses auteurs n'en ont avancés pour. Mais la santé est un domaine dans lequel on ne doit prendre aucun risque. Ne voyant pas les effets bénéfiques du texte et en redoutant même des effets néfastes, le groupe Les Indépendants votera contre.

Mme Anne-Sophie Romagny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le régime de personne morale de droit public à statut particulier qu'il est proposé de conférer à l'Académie nationale de chirurgie concerne peu d'organismes, dont l'Académie française et l'Académie des beaux-arts. L'Académie nationale de médecine et l'Académie nationale de pharmacie en bénéficient déjà.

Assurer un statut équivalent à l'Académie nationale de chirurgie rétablirait l'égalité entre trois institutions qui ont un héritage historique partagé et entretiennent une coopération structurée. Cette évolution renforcerait aussi l'implication de l'Académie nationale de chirurgie dans les missions d'intérêt général qu'elle exerce auprès du Gouvernement, de la Haute Autorité de santé, de l'Inserm ou de France Biotech. Elle consacrerait son indépendance, notamment en lui accordant l'autonomie financière sous le seul contrôle de la Cour des comptes.

Cette institution est particulièrement impliquée dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique de santé publique. Elle joue également un rôle structurant dans les domaines de la recherche et de l'enseignement, participant au rayonnement de la communauté chirurgicale française.

Ce texte a toutefois fait débat en commission. Ainsi, faut-il renommer l'institution en Académie nationale de chirurgie et des pratiques interventionnelles innovantes ? Cela introduirait une distinction injustifiée avec les deux autres académies.

Pourquoi conférer des pouvoirs spécifiques à l'Académie nationale de chirurgie alors qu'une division de chirurgie existe au sein de l'Académie nationale de médecine ? Comme pour l'Académie nationale de pharmacie, l'existence de cette division ne saurait faire obstacle à l'octroi du statut de personne morale à l'Académie nationale de chirurgie. D'autant qu'elle seule assure l'égale représentation des treize spécialités chirurgicales, dont la chirurgie thoracique et cardiovasculaire, la neurochirurgie et l'oto-rhino-laryngologie.

En cas d'adoption du texte, le Gouvernement aura à garantir l'indépendance financière de l'Académie nationale de chirurgie, donc à établir la part de l'État dans son financement. L'Académie nationale de médecine dépend uniquement du soutien de l'État, tandis que les recettes de l'Académie nationale de pharmacie sont constituées à 45 % de cotisations. Le pouvoir réglementaire devrait aussi prévoir de nouveaux statuts pour l'Académie nationale de chirurgie.

Notre rapporteur a déposé trois amendements visant à différer l'entrée en vigueur du texte, à circonscrire à la chirurgie les avis de l'Académie nationale de chirurgie et à coordonner les travaux des deux institutions. Le groupe Union Centriste les votera dans un esprit d'apaisement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)

Mme Anne Souyris .  - Cette proposition de loi renforce le statut de l'Académie nationale de chirurgie au nom de son héritage historique. Je défendrai une autre vision du rôle des académies, en revenant notamment sur les raisons de leur suppression.

On retient que l'Académie royale de chirurgie fut supprimée en 1793 en raison de l'esprit monarchique qu'elle incarnait. Mais elle était surtout en inadéquation avec la politique de santé défendue par les révolutionnaires, qui souhaitaient faire du malade un citoyen. L'historienne Dora Weiner a mis en lumière l'idée révolutionnaire du citoyen patient, acteur de sa propre santé - une idée proche de ce que nous appelons la démocratie sanitaire

L'un de nos prédécesseurs, François de la Rochefoucauld-Liancourt, déclarait : « La bienfaisance publique doit à l'indigent malade des secours prompts, gratuits, certains et complets ». Il mena le combat pour que chaque citoyen devienne, en quelque sorte, son propre médecin.

Plutôt que le renforcement de l'académie et la spécialisation des savoirs, les révolutionnaires ont privilégié le partage des connaissances et une forme d'« empouvoirement » en santé.

Sans opposer nécessairement les académies à la démocratie sanitaire, rappelons que la politique consiste souvent à établir des priorités. Le renforcement des académies ne fait pas partie de mes priorités ; la démocratie sanitaire, si.

En 1820, Louis XVIII créait l'Académie royale de médecine, chargée de poursuivre les travaux de la Société royale de médecine et de l'Académie royale de chirurgie. Quant à la Société de chirurgie dont l'actuelle académie est issue, elle fut créée en 1842, sous Louis-Philippe.

Les académies de médecine et de chirurgie n'ont pas été des outils de démocratie sanitaire et ne semblent pas souhaiter le devenir. En outre, le cadre académique ne garantit pas un avis éclairé : souvenons-nous de la diffusion de fausses nouvelles sur les risques de l'amiante par l'Académie nationale de médecine dans les années 1990.

Renforcer les académies, pourquoi pas... Mais quand elles auront pris le chemin d'une réforme nécessaire pour intégrer les citoyennes et les citoyens à leurs travaux et pris en compte le nouveau régime climatique et les risques qui en résultent, par exemple en termes de maladies émergentes.

Nous avons entendu ces dernières semaines l'opposition de l'Académie nationale de médecine à l'évolution proposée pour l'Académie nationale de chirurgie. Il ne nous appartient pas de trancher ces querelles de chapelles.

Le GEST votera contre cette proposition de loi anachronique.

Mme Céline Brulin .  - L'objet de ce texte peut sembler louable : assurer l'égalité de traitement entre les académies et reconnaître pleinement l'importance et la qualité des travaux de l'Académie nationale de chirurgie.

Nous pensions ce sujet sans grand enjeu. Mais il n'en est visiblement rien : l'Académie nationale de médecine craint « un affaiblissement majeur au regard des problématiques de santé publique et de l'expertise pluridisciplinaire qu'elles nécessitent plus que jamais ».

Cette question aurait pu être traitée par voie d'amendement dans un projet de loi sur la santé ou la recherche. Mais encore faudrait-il que le Gouvernement nous saisisse d'un texte : hélas, il contourne de plus en plus le Parlement... Résultat : les travaux parlementaires sont parsemés de propositions de loi parcellaires, sans vision globale.

Pour sérieux et indispensables que soient les travaux des différents acteurs impliqués, nous devons garder à l'esprit les urgences en matière de santé. Hier encore, j'ai été interpellée par un patient en affection de longue durée dont le médecin traitant part en retraite et qui peine à en trouver un autre... Et que dire de la situation des hôpitaux, alors que les urgences ferment de plus en plus souvent ? Que dire de nos Ehpad, dont 80 % font face à des déficits structurels ?

Que dire de la financiarisation de la santé, objet d'une mission d'information sénatoriale ? Des pénuries croissantes de médicaments ? À ce sujet, monsieur le ministre, vous devriez vous saisir d'urgence des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale, notamment face aux annonces de mise en vente de Biogaran.

Gardons-nous de nourrir des batailles qui accentuent les fractures dont certains font leur miel ; veillons à ce que d'obscurs enjeux n'accentuent pas la déconnexion avec les difficultés de nos concitoyens.

Notre groupe ne votera pas ce texte - ce serait un OPNI, objet parlementaire non identifié, alors qu'il y aurait tant à faire en matière de santé ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Maryse Carrère .  - Fondée en 1731, l'Académie nationale de chirurgie est une institution prestigieuse dont le principal objet est de promouvoir la chirurgie en France et dans le monde. Elle joue un rôle important dans l'élaboration de normes et de protocoles chirurgicaux et dans la promotion de l'éthique au sein de la profession. Elle fédère les treize spécialités chirurgicales.

À l'époque d'Hippocrate, la chirurgie faisait partie intégrante de la médecine. Ce n'est qu'à partir du XIIe siècle que l'exercice de la chirurgie s'est individualisé de l'art médical. Pour autant, ces domaines sont de plus en plus complémentaires et les séances, commissions et séminaires communs sont nombreux. Le professeur Philippe Marre a souligné la richesse des coopérations entre les deux académies.

Mais l'Académie nationale de chirurgie ne bénéficie pas de la même reconnaissance que l'Académie nationale de médecine ou que l'Académie nationale de pharmacie. Ce texte viserait donc à rétablir une égalité de traitement.

Cette proposition de loi nous semblait anodine. Mais, il y a quelques jours, nous avons été interpellés par le secrétaire perpétuel de l'Académie nationale de médecine : ce changement de statut serait dangereux, il conduirait à « une déstructuration de l'Académie nationale de médecine et de son efficacité en santé publique ».

Faut-il ouvrir un tel débat, alors que notre système de santé traverse une crise sans précédent ? Il faut améliorer la qualité des soins, renforcer la prévention, investir dans la formation et le recrutement de personnel médical, moderniser les infrastructures hospitalières et garantir un accès équitable. Notre système de santé a besoin d'un « choc d'attractivité », comme le répète souvent Véronique Guillotin.

Je salue le travail d'équilibriste du rapporteur.

Dans ces conditions, une partie de notre groupe s'abstiendra, l'autre votera contre.

Mme Nadège Havet .  - Le rôle de l'Académie nationale de chirurgie est de promouvoir l'excellence du savoir et des pratiques de la chirurgie française dans le monde. Elle accompagne les professionnels dans l'évolution de leur métier, qu'il s'agisse de progrès techniques ou organisationnels. Elle concourt aux progrès de la science et de la recherche, dans l'intérêt supérieur des patients.

Tout comme la Société royale de médecine, l'Académie royale de chirurgie, fondée en 1731, a été dissoute par la Convention de 1793. C'est sous la Restauration qu'une Académie royale de médecine a été créée, avec une division chirurgie. Parallèlement, les chirurgiens ont constitué la Société des chirurgiens de Paris en 1843, devenue la Société des chirurgiens français trente ans plus tard. Les Académies nationales de chirurgie et de médecine ont donc connu des évolutions parallèles depuis le XVIIIe siècle. Cette proximité a conduit au rapprochement des disciplines et a renforcé la collaboration académique.

L'Académie nationale de pharmacie est elle aussi l'héritière d'une histoire ancienne : la Société libre des pharmaciens de Paris, fondée en 1796, devenue la Société de pharmacie de Paris en 1803, reconnue d'utilité publique en 1877 et qui devient Académie nationale de pharmacie en 1879.

Les membres de l'Académie nationale de chirurgie souhaitent que leur académie ait, elle aussi, le statut de personne morale de droit public à statut particulier et soit placée sous la protection du Président de la République.

Les statuts de l'Académie nationale de médecine sont définis par la loi du 22 juillet 2013 : l'institution a pour mission de s'occuper de tous les sujets d'étude et de recherche contribuant à l'art de guérir.

Le même statut a été attribué à l'Académie nationale de pharmacie, dont le champ d'étude et de recherche s'étend aux médicaments, aux produits de santé, à la biologie et la santé environnementale.

Nos collègues Milon et Gruny souhaitent attribuer la personnalité morale de droit public à l'Académie nationale de chirurgie, ce qui soulève plusieurs interrogations.

Le nouveau statut mettrait l'Académie nationale de chirurgie dans une position d'égalité vis-à-vis de l'Académie nationale de médecine.

Or l'Académie nationale de médecine comporte une division dédiée à la chirurgie. Donner un statut identique à l'Académie nationale de chirurgie entraînerait une mise en concurrence des deux entités.

Compte tenu du caractère symbolique de ce texte, pourquoi prendre un tel risque ? Aussi, notre groupe votera contre.

Mme Annie Le Houerou .  - Dépourvue d'enjeu particulier, cette proposition de loi soulève des interrogations sur le rôle et le positionnement des différentes académies.

Je salue les efforts du rapporteur pour rapprocher les points de vue. 

L'Académie nationale de chirurgie ne bénéficie pas de la même reconnaissance que l'Académie nationale de médecine. La collaboration entre les deux a toujours été fructueuse, favorisant un dialogue essentiel pour l'avancement de la recherche et des pratiques médicales.

L'Académie nationale de médecine nous a fait part de ses inquiétudes : l'évolution du statut de l'Académie nationale de chirurgie serait de nature à remettre en cause l'expertise transversale et pluridisciplinaire de l'Académie de médecine.

L'Académie nationale de médecine souligne que la chirurgie est une discipline de la médecine et que la santé suppose une approche intégrée, notamment à l'heure des développements de l'intelligence artificielle. Or une telle évolution statutaire risquerait de conduire à des prises de position divergentes et à de la confusion.

Nous préférerions travailler à une grande loi Santé pour l'accès aux soins de tous sur l'ensemble du territoire.

Cette évolution est avant tout symbolique : il s'agit de restaurer le prestige et la reconnaissance institutionnelle de l'Académie nationale de chirurgie. Ses biens deviendraient insaisissables et son indépendance comme sa libre administration, sous le contrôle de la Cour des comptes, seraient consacrées.

L'Académie nationale de médecine dispose d'un budget de fonctionnement bien supérieur aux autres académies. Tout comme les pharmaciens, les chirurgiens ne sollicitent pas, à ce jour, de financements complémentaires de l'État.

Nous avons regretté la réaction tardive de l'Académie nationale de médecine, qui n'avait pas émis de réserve lors de son audition au Sénat.

Les Académies royales de chirurgie et de médecine ont été créées en 1731 et 1778, avant d'être dissoutes sous la Révolution ; l'Académie nationale de médecine a été restaurée en 1820. À l'époque, une académie unique comportant trois divisions -  médecine, chirurgie, pharmacie  - avait été préférée à la création d'académies distinctes. Les arguments étaient déjà les suivants : priorité donnée au patient, nécessaire prise en charge globale, interlocuteur unique de l'État.

Ce schéma demeure celui de l'Académie nationale de médecine, institution pluridisciplinaire unique en France dans le domaine de la santé. Sa mission est triple : suivi des politiques publiques ; suivi des progrès de la science ; mission patrimoniale et historique. Sa présidence est alternativement occupée par des médecins, des chirurgiens, des pharmaciens, des biologistes et des vétérinaires.

L'Académie nationale de chirurgie compte plus de 700 membres et est construite sur le schéma des sociétés savantes, tel qu'il en existe dans toutes les spécialités médicales. Ses modalités d'entrée ne relèvent pas d'une élection par les pairs et son nombre de membres est illimité.

Créer des académies comparables à l'Académie nationale de médecine ouvrirait la porte à des divergences, avec une vision plus corporatiste que scientifique. Pourquoi pas une académie de cardiologie ou de pneumologie ?

La plupart des maladies bénéficiant de la chirurgie relèvent de l'expertise des chirurgiens, des médecins, mais aussi des radiologues, etc. Les deux spécialités sont enseignées dans les facultés de médecine. Les chirurgiens sont d'abord des médecins.

C'est pourquoi l'Académie nationale de médecine a émis un avis défavorable à ce texte, lors de sa séance du 30 avril, à l'unanimité moins une voix. Un sondage a été réalisé auprès de sa division chirurgie : même avis défavorable. Toutefois, le Conseil national de l'ordre des médecins a soutenu cette proposition de loi.

Nous encourageons un dialogue constructif entre tous les acteurs, dans l'intérêt supérieur de la santé publique et de la recherche médicale. Les amendements du rapporteur vont dans ce sens.

Le groupe SER s'abstiendra sur ce texte.

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'héritage mêlé des trois académies et les buts communs qu'elles poursuivent ne se sont pas traduits par une égale reconnaissance juridique. L'Académie nationale de chirurgie est dans une situation d'infériorité symbolique, à laquelle ce texte remédie.

Il ne remet pas en cause l'existence de la deuxième division de l'Académie nationale de médecine. En 2016, lorsque ce statut a été accordé à l'Académie nationale de pharmacie, la situation était identique ; cela n'avait pas été un obstacle.

L'objet de notre proposition de loi n'est pas de mettre ces trois instances en compétition mais, au contraire, de conforter leur complémentarité, car leur collaboration a été historiquement fructueuse.

Demain comme aujourd'hui, l'Académie nationale de médecine jouera son rôle fédérateur d'instance transversale, riche de ses quatre divisions qui favorisent les échanges interdisciplinaires.

Nous appelons à une égalité de traitement. Discipline d'excellence, la chirurgie mérite elle aussi un traitement particulier. L'Académie est reconnue d'utilité publique, elle entretient des relations avec la HAS ou l'Agence de l'innovation en santé. Ce nouveau statut fera de la chirurgie un interlocuteur de premier plan. Nous y voyons aussi un enjeu de rayonnement pour la France.

L'existence autonome de l'Académie nationale de chirurgie répond à un besoin de structurer et de spécialiser ses travaux dans un contexte d'hyperspécialisation. Tous les chirurgiens que nous avons rencontrés nous ont fait part de leur besoin d'être représentés dans leur spécificité. L'Académie nationale de chirurgie est la seule institution qui regroupe les treize spécialités chirurgicales, la seule spécialisée dans la recherche technopédagogique et l'innovation dans les actes opératoires.

Robotique, simulation, IA : autant de révolutions que les chirurgiens ont besoin d'aborder entre eux, en laissant à l'Académie nationale de médecine la vision transversale.

La proposition de loi renforce l'indépendance de l'Académie nationale de chirurgie en prévoyant son autonomie financière. Elle n'entraîne aucune dépense supplémentaire et ne remet pas en cause le financement de l'Académie nationale de médecine.

Il est primordial de maintenir la qualité et la fluidité des échanges entre les académies ; c'est pourquoi nous soutenons les amendements du rapporteur.

Quand l'Académie nationale de pharmacie travaille sur les médicaments innovants, ce travail est partagé au sein de l'Académie nationale de médecine. Il en irait de même pour l'Académie nationale de chirurgie.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. Nous espérons, monsieur le ministre, que vous changerez d'avis ! (M. Frédéric Valletoux sourit.)

Discussion de l'article unique

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Khalifé, au nom de la commission.

Alinéa 2

Remplacer les mots :

santé publique

par le mot :

chirurgie

M. Khalifé Khalifé, rapporteur.  - Cet amendement précise les missions respectives de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie nationale de chirurgie.

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Khalifé, au nom de la commission.

Alinéa 7

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée : 

Ils définissent les modalités de coordination de ses travaux avec ceux de l'Académie nationale de médecine dans le champ de la chirurgie. 

M. Khalifé Khalifé, rapporteur.  - Amendement de précision qui officialise les liens entre l'Académie nationale de chirurgie et l'Académie nationale de médecine.

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Khalifé, au nom de la commission.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé : 

... - Les I et II du présent article entrent en vigueur le 1er mai 2026.

M. Khalifé Khalifé, rapporteur.  - Cet amendement prévoit une entrée en vigueur dans deux ans, au 1er mai 2026, afin de donner au Gouvernement et à l'Académie nationale de chirurgie le temps de prendre les dispositions réglementaires nécessaires.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué.  - Un chirurgien, c'est un médecin qui opère : l'amendement n°1 ne clarifie pas les rôles entre chirurgiens et médecins. Cette dilution d'expertise n'est pas souhaitable. Avis défavorable à l'amendement n°1.

Pour ne pas diluer l'expertise, là encore, j'émets un avis défavorable à l'amendement n°3.

Le délai plus long prévu à l'amendement n°2 ne change pas le fond du problème : avis défavorable.

L'amendement n°1 est adopté, ainsi que les amendements nos3 et 2.

À la demande du GEST, l'article unique, modifié, est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°182 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 249
Pour l'adoption 188
Contre   61

L'article unique, modifié, est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.  - Je salue les auteurs de la proposition de loi, qui ont mené un travail cohérent jusqu'au bout. Je remercie le rapporteur de son travail : l'art du grand écart est difficile... (Sourires)

Prochaine séance, mardi 14 mai 2024, à 14 h 30.

La séance est levée à 15 h 50.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 14 mai 2024

Séance publique

À 14 h 30 et le soir

Présidence : Mme Sylvie Robert, vice-présidente, M. Pierre Ouzoulias, vice-président.

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.

1. Proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l'état civil du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, présentée par Mme Samantha Cazebonne (procédure accélérée) (texte de la commission, n°578, 2023-2024)

2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, allongeant la durée de l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate (texte de la commission, n°558, 2023-2024)

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France (texte de la commission, n°585, 2023-2024)